NoteOfHope - Oserai-je sauter à la suite du Christ?

Oserai-je sauter à la suite du Christ?

Il y a dans ce texte (Matthieu 4:1-11) quelque chose qui me heurte, qui choque ma sensibilité de femme occidentale du 21ème siècle. J’ai beau avoir été biberonnée aux évangiles, le récit ne m’en paraît pas moins étrange. Entre le Saint-Esprit qui conduit, le diable qui tente et les anges qui servent, je ne me sens pas particulièrement à l’aise. Déjà que le ciel s’était ouvert quelques versets précédemment pour laisser entendre la voix de Dieu. Inévitablement, l’univers pictural des tableaux moyenâgeux me vient à l’esprit. Et puis il y a cette phrase surprenante : « après avoir jeûné pendant quarante jours et quarante nuits, il eut faim. » Là, c’est comme si tout mon arrière-plan et mon éducation ‘rationnelle’ se hérissait. Quoi ? Comment est-ce possible ? Tenir quarante jours et quarante nuits de jeûne avant d’avoir faim ? Je n’ose dévoiler le temps qu’il me faut pour entendre les premiers cris de mon ventre. 

Et si c’était par un autre biais que je devais aborder ce passage ? Et si je laissais de côté mes aprioris supposément rationnels pour entrer dans la logique du texte même ? Lecture après lecture, des mots captent mon attention : quarante, désert, jeûne. Encore le désert, encore le chiffre quarante, encore le manque. Des siècles après le texte précédent (Nb 13:25-14:38), Jésus, mené par le Saint-Esprit, se trouve lui aussi au désert, comme le peuple d’Israël jadis. Si juste avant, la gloire de Dieu s’était révélée lors du baptême de Jésus, là au désert, c’est le manque et la solitude qui règnent. Dieu est présent, mais plutôt discret. Après l’éclat de sa gloire, le silence. Seul, loin de tout ce qui fait partie de son quotidien, que ce soit la nourriture, les relations, la reconnaissance peut-être, Jésus est seul face à lui-même, face à son Père. Est-il prêt pour la mission qui l’attend ? Et quand le temps de l’épreuve touche à sa fin, marqué par le chiffre quarante, que la faim se fait sentir, le diable intervient pour tenter le Christ. Sera-t-il y résister, là où aucun être humain n’a réussi?

Les réponses de Jésus face au diable sont trois citations provenant du Deutéronome aux chapitres 6 et 8, un texte qui semble l’habiter, qui sous-tend notre récit. A la veille de leur entrée au Pays Promis, les israélites sont invités à se tourner vers leur Dieu : « Ecoute, Israël, l’Eternel est notre Dieu, il est le seul Eternel. Tu aimeras l’Eternel ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta force » (Dt 6 :4-5). C’est en Dieu seul qu’Israël est invité à se confier. Dieu est la source, Dieu remplit le manque qui bien souvent nous habite. Le chapitre 8 insiste sur le temps passé au désert, sur cette expérience de pauvreté et de faim, cette épreuve « pour découvrir tes véritables dispositions intérieures et savoir si tu allais, ou non, obéir à ses commandements » (Dt 8 :2b). Et c’est de ce contexte qu’est tiré le verset si bien connu : « L’homme n’a pas seulement besoin de pain pour vivre, mais aussi des paroles que Dieu prononce » (Dt 8 :3 et Matt 4 :4).

Vivre le manque, accepter d’être conduit au désert pour percevoir ce qui nous fait réellement vivre. Se rendre compte de tout ce qui remplit nos vies, nos êtres intérieurs, de tout ce qui nous contrôle positivement et négativement. Vivre le manque pour nous recentrer sur Dieu, pour nous nourrir d’autre chose. Par son récit, Matthieu souligne à quel point l’existence entière de Jésus est en Dieu. Là où Israël a échoué, le Christ en sort vainqueur et affirme de par son incarnation cette promesse que l’obéissance mène à la liberté. Mais pour cela il nous faut faire confiance.

Il y a des années lors d’un voyage, j’ai pu faire un ‘leap of faith’. L’activité consistait à monter en haut d’un poteau de 10 mètres, sur une plateforme. Là-haut, la vue était imprenable, sur la mer qui nous entourait. A quelques mètres, il y avait un trapèze que j’étais invité à attraper en sautant dans le vide. Un acte de foi. Du bas de l’échelle, le trapèze n’était pas bien loin de la plateforme. Mais vu d’en haut, mes jambes tremblaient. J’avais beau savoir que j’étais attachée et en sécurité, le saut n’en demeurait pas moins effrayant. Par je ne sais quel moyen, j’ai finalement sauté et attrapé le trapèze. 

Aller à la suite du Christ, vivre ce temps de Carême, n’est-ce pas un peu se lancer dans le vide ? On a beau savoir que Dieu est là, nous ne savons pas où cela nous mènera. Je suis en haut de l’échelle, le trapèze se trouve devant moi. Oserai-je dépasser tous mes aprioris et faire confiance ? Oserai-je réellement croire en ses promesses ? Oserai-je sauter à la suite du Christ ?